CCD OU VIDEO ?

 

(note : bien que les webcams et caméras vidéo soient équipées d'un véritable capteur CCD, pour des raisons de simplicité le terme CCD désignera dans la suite les caméras refroidies spécialisées en astronomie)

Voici deux images lunaires de la région du Mur Droit, que j'ai réalisées à quelques années d'écart avec le même télescope. Celle de gauche a été prise avec une caméra CCD astronomique (KAF-0400), celle de droite est un compositage de 27 images prises avec une webcam ( Philips Vesta Pro). Bien que l'image de droite ait été réalisée dans des conditions de turbulence beaucoup moins bonnes (figure d'Airy fortement déformée et agitée), sa résolution est visiblement meilleure. Le même constat peut être fait pour l'image webcam de Saturne du 31 octobre 2002 qui montre la division d'Encke mieux que mes images CCD des années précédentes. Pourtant, on pourrait penser que le prix beaucoup plus élevé de la CCD est un gage de performances très supérieures. Mais les choses ne sont pas si simples...

La différence de qualité entre les deux images ci-dessus est peut-être liée en partie à l'échantillonnage un peu plus élevé pour l'image webcam, mais ce n'est certainement pas la principale explication. La première supériorité de la webcam, et plus généralement d'une caméra vidéo, est sa cadence d'images qui accroît dans des proportions énormes la probabilité d'obtenir de bonnes images brutes lorsque la turbulence est présente, ce qui est pratiquement toujours le cas. Avec une image plein format toutes les 10 à 30 secondes, la CCD n'a aucune chance face aux 5 ou 10 images par seconde de la vidéo. Lorsque l'image webcam ci-dessus a été prise, la turbulence n'a pas rendu exploitable plus d'une trentaine d'images sur plus d'un millier prises en quelques minutes. En CCD, la probabilité de tomber sur une de ces images aurait été pratiquement nulle.

16 bits ou 8 bits ?

La numérisation en 16 bits d'une caméra CCD lui offre une dynamique de 65536 (216) niveaux de gris, ce qui semble lui donner un avantage déterminant sur les webcams et caméras vidéo courantes qui ne sont dotées que d'une numérisation en 256 niveaux de gris (8 bits). Mais ce calcul ne tient pas compte d'une chose : le bruit.

Il existe différentes sources de bruit, la première qui vient à l'esprit c'est l'électronique de la caméra mais il y en a une autre qui est très importante en planétaire : la lumière de l'objet lui-même. On sait que la lumière est composée de photons, mais ce qu'on sait moins c'est que ceux-ci arrivent de manière désordonnée, un peu comme des gouttes de pluie, ce qui a pour fâcheuse conséquence que si on compte pendant une seconde la quantité de photons en provenance d'une source lumineuse très stable (par exemple une étoile de type solaire observée hors de l'atmosphère), on ne mesurera pas exactement le même nombre d'une seconde à l'autre. La variation de la mesure est un bruit, le bruit de photons, et sa valeur est fonction de la racine carrée du nombre de photons : plus il y a de lumière, meilleur est le rapport signal/bruit mais aussi plus il y a de bruit.

Dans une caméra CCD de bonne qualité, pour un objet brillant comme une planète ou la Lune, ce bruit de photons est le bruit dominant dans l'image. Si on calcule, pour une caméra amateur dotée d'un capteur Kodak (famille KAF-xxx), la quantité de bruit correspondant à une image planétaire correctement exposée, on se rend compte qu'une numérisation sur 10 bits ou même 9 bits suffirait, le reste est un luxe inutile car les 6 ou 7 derniers bits sont noyés dans le bruit. Ce résultat est confirmé (image ci-dessous) par une diminution du nombre de bits, en partant d'images brutes 16 bits : à 10 bits aucune dégradation de l'image n'est encore visible. A 8 bits, l'image devient plus bruitée car c'est le bruit de numérisation qui est maintenant prépondérant.

Sur le strict plan de la numérisation, on peut donc considérer qu'un compositage de quelques images vidéo (2 à 8) permet d'obtenir un résultat qui n'est pas inférieur à celui d'une image CCD. Il faut toutefois tenir compte du bruit de la webcam et de la compression des images : en pratique, l'expérience montre que le compositage de une à trois dizaines d'images brutes prises avec une webcam permet d'obtenir un excellent résultat en comparaison d'une image CCD. Même s'il faut compositer plus d'images qu'en CCD, compte tenu du grand nombre d'image brutes, l'avantage reste largement à la vidéo.

Capteur couleur ou noir et blanc ?

Le capteur des webcams est un capteur couleur composé d'une mosaïque de pixels sensibles soit au bleu, soit au vert, soit au rouge. Pour la Lune et le Soleil la couleur est inutile et on peut penser qu'un capteur monochrome permettrait de travailler avec un échantillonnage un peu inférieur et de diminuer le temps de pose (un capteur noir et blanc est généralement bien plus sensible qu'un capteur couleur). Il faut toutefois remarquer qu'une webcam utilisée en mode noir et blanc présente déjà des performances excellentes sur la Lune, bien que son capteur reste un capteur couleur (en mode monochrome les 3 couches couleur fournies par la caméra sont moyennées).

Pourquoi une telle différence de prix entre CCD et webcam ?

Comparer les prix d'une caméra CCD et d'une webcam n'a guère plus de sens que de comparer leur poids ou leur couleur : la différence de prix est avant tout liée à la quantité produite. Si les caméras CCD astronomiques étaient fabriquées en Asie par centaines de milliers comme les webcams, elles seraient d'un coût beaucoup plus bas qu'aujourd'hui. A cela, il convient d'ajouter le fait qu'une webcam ne contient aucun système de refroidissement puisqu'elle n'est pas destinée à la longue pose. De plus, le capteur d'une webcam (de type interligne) permet de se passer d'un obturateur mécanique, élément coûteux et source de vibrations. Une caméra CCD est avant tout optimisée pour l'imagerie du ciel profond où elle fait des merveilles en comparaison d'une webcam, mais il n'est pas judicieux de considérer que le rapport de prix entre CCD et webcam est représentatif du rapport des performances en planétaire. Dans le cas présent, pour l'imagerie planétaire on peut prendre la comparaison d'une Formule 1 et d'un véhicule tout-terrain : la première est infiniment plus coûteuse que le second, mais il n'est pas certain que Michael Schumacher, même avec tout son savoir-faire, parvienne à gagner facilement le Paris-Dakar au volant de sa Ferrari.

Et pour la facilité d'utilisation ?

En vidéo, la cadence élevée de prise de vues présente un avantage supplémentaire : l'utilisation d'une webcam ou d'une caméra vidéo est bien plus facile qu'une CCD car la focalisation et le centrage se font en quasi-direct, ce qui apporte un confort et une facilité d'apprentissage bien supérieurs.

Compte tenu de sa convivialité et de sa relative tolérance à la turbulence, la webcam permet d'obtenir plus facilement et plus souvent des résultats égaux ou supérieurs à ceux de la CCD.